Le travail récent de Carl Trahan a comme point de départ la lecture d’un livre du philologue juif allemand Victor Klemperer (1881-1960), qui a survécu à la Shoah dans une maison de Dresde où les derniers juifs de la ville furent contraints d’habiter. Ses observations critiques sur les implications idéologiques du langage ont été publiées après la guerre sous le titre LTI, La langue du Troisième Reich. Il existe peu de témoignage plus impressionnant sur le pouvoir de corruption que l’homme peut exercer sur la langue.
Le sens des mots résulte toujours de leurs contextes. À l’aide de ses dessins et de ses objets, Trahan les en extrait, les isole, les enferme ou les contracte. Leurs significations sont donc neutralisées, refoulées ou réduites à un minimum existentiel; comme par exemple dans une série de termes gravés dans le graphite, que Trahan a empruntés à l’auteur espagnol Jorge Semprún, qui les considérait essentiels afin de baliser la vie au camp de concentration de Buchenwald où il fut emprisonné. En revêtant les mots et les lettres de diverses formes typographiques, Trahan nous montre comment, à travers le temps, ils ac-
quièrent leur histoire propre. Dans une série de dessins, les lettres de mots choisis parmi le vocabulaire national-socialiste et écrits en police Fraktur sont superposées et prennent une qualité abstraite et sculpturale.
Les nationaux-socialistes ont attribué une grande importance à la typographie : si les polices de la famille de caractères Fraktur ont tout d’abord été considérées comme étant « allemandes », à partir de 1941 elles furent abandonnées et des polices plus modernes ont été promues. L’écriture Sütterlin, une version cursive maniérée de la Fraktur, est tombée en disgrâce en même temps et a été remplacée par une autre écriture plus simple. Ces types d’écriture ne sont plus enseignés aujourd’hui. Si on les utilise parfois, c’est pour donner des connotations historiques et traditionnelles – un usage qui n’est pas toujours innocent.
Que veut dire « ewig » (éternel) ? Cette question sous-tend deux œuvres de l’exposition : une enseigne de néon écrite en Sütterlin ainsi qu‘une intervention murale prenant la forme d’une cascade de traductions possibles entre l’allemand et le français. L’écriture et la typographie ne peuvent rien changer à la signification des mots; ils ajoutent pourtant un sens supplémentaire spécifique à tout acte de communication qu’ils rendent visible.
Dirk Naguschewski, chercheur en langues et cultures, Berlin
Traduit de l’allemand par Carl Trahan et Dirk Naguschewski
Artiste(s): Carl Trahan (Montréal)
Commissaires):
Credits: Image : Carl Trahan, série 7 (les mots les plus terribles du national-socialisme), 2011, photo : Gianni Plescia carltrahan.com
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