L'an dernier, lorsqu'on m'a approché pour être artiste en résidence à l'Université Concordia et y enseigner mon propre cours de dessin, ma première idée fut de reprendre la formule et les thèmes du cours de dessin que j'avais préféré lors de mon bacc. Il y a quinze ans à l'université du Manitoba, mon professeur favori, Sharon Alward, divisait son cours en quatre chapitres traitant chacun d'un thème large: Sexe, Amour, Mort et Dieu. Je me souviens surtout que j'aimais énormément ce cours, bien que j'en ai oublié les spécificités. C'était comme si le professeur Alward nous avait jeté un sort nous permettant, à moi et aux autres étudiants, de réellement croire que nos oeuvres tenaient une place dans quelque chose de plus grand, une histoire pouvant toucher un public universel. Toutefois, dès le début de mon propre cours de "dessin et thèmes universels", avec humilité je me suis rendu à l'évidence que je m'y connaissais très peu en matière de sexe, d'amour, de mort et de dieu. Néanmoins, je me suis ajusté à mon nouveau rôle de professeur et fus soulagé de constater que, par leur talent, les étudiants pouvaient creuser eux-mêmes leurs investigations personnelles et, ainsi, diriger l'apprentissage de la classe.
Le travail présenté dans HEIRESS (Héritières) a émergé de ce cours de manière très organique, et reflète l'un ou l'autre des grands thèmes mentionnés plus tôt. Chacune des trois artistes a créé sa propre performance/diaporama, un mélange d'héritages culturel et familial, d'éléments politiques, d'images d'archives, de souvenirs personnels et de fantaisie, le tout dans une volonté de rendre compte de la situation dans laquelle nous sommes et de tenter d'envisager ce dont l'avenir sera fait.
Lorsqu'elle s'est inscrite à mon cours, Emma-Kate Guimond était forte de son expérience de danse contemporaine et mettait en scène son corps dans des projections de vignettes denses et "cartoonesques". Guimond a présenté what kinda face mamma? sous le thème de l'Amour. Dans cette oeuvre à plusieurs couches, elle tresse ensemble des histoires de déesses mythiques, des détails de son histoire personelle (sa réaction allergique au lait maternel) et des contes puisés à même l'inconscient collectif.
Le diaporama Northern Onterrible de Kerri Flannigan oscille brillamment entre récit initiatique doux-amer, histoire folklorique, et documentaire sordide et qui rend mal à l'aise. Présenté à l'origine sous le thème de la Mort, le monologue de Flannigan s'inspire de son enfance passée entre six foyers du nord de l'Ontario. Sous forme de collage, l'artiste a créé un portrait familial où elle raconte le passage ardu de ses ancêtres, vers le Canada dans les années 1930, questionnant à la fois l'aspect mythologique du petit village idyllique et la notion de chez-soi.
À l'instar de Flannigan, le diaporama commenté en direct de Kandis Friesen se veut à la fois album de famille, document de recherche et réflexion sur la mort. Friesen questionne, à travers sa propre expérience, de multiples facettes de la mort: la mort d'un quartier manitobain suite à sa gentrification, la perte d'une patrie et la vie de réfugié, la mémoire et la migration, les cimetières perdus, le traumatisme physique, la guérison et le processus de deuil. Death: The Architecture Of Dying and The Geography Of Loss est une profonde et généreuse réflexion sur la nostalgie et la perte, livrée par une artiste qui désire ardemment participer au changement social.
Chacune des artiste a élaboré sur sa performance originale afin de créer une installation adaptée au contexte d'articule. C'est un honneur de présenter ces trois artistes émergentes au public montréalais. Je suis persuadé qu'il s'agit d'un ajout important à la programmation d'articule, et que son impact sera durable et mémorable.
Texte par Daniel Barrow
Traduction de l'anglais: Simon Benedict
Projets spéciaux
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Credits: Image top : Emma-Kate Guimond danielbarrow.com