ven, 03/01/2019 - 16:05 -- Audrey
03/01/2019 - 00:00 - 03/10/2019 - 00:00

par Maria Antonia Trujillo

traduction vers le français par Audrey Bilodeau Fontaine

 

Pour l’exposition SITUER / SITUATE, les artistes étaient invité.e.s à une réflexion sur la signification du mot et du concept lieu. Lieu à la fois comme un endroit physique défini et une action que l’on accomplit. De perdre un lieu est aujourd’hui commun, vu la globalisation, la migration forcée et la destruction de l’environnement pour l'appât du gain; sans cesse déplacer les peuples autochtones et campesinos, partout dans le monde.

Je suis ici, dans cette ville, à réfléchir sur l’idée du lieu, relativement en sécurité. J’ai déménagé à de nombreuses reprises. Je questionne le concept parce que, l’endroit où j’ai vécu le plus longtemps, je n’y réside pas légalement. Le lieu dont je suis légalement résidente, l’endroit ou je suis née, je n’y ai vécu que quatre ans. Ici, a Tio'tia:ke, j’ai un visa temporaire et l’espoir de pouvoir rester. Quel lieu puis-je appeler chez moi?

La signification du mot, du concept lieu, tel que dépeint dans le travail de plusieurs artistes de l’exposition, n’est pas nécessairement définie par des forces externes. Parfois, notre sens du lieu et le sentiment d’appartenance qui peut en découler sert aussi à repousser les limites sociales qui cherchent à restreindre et définir ladite signification et sentiment. Parfois, explorer la question du lieu peut aussi être un rituel de guérison, mut par la disparition de ce qu’un lieu voulait dire pour nous.

En tant que migrante, je vis entre les souvenirs des peut-êtres des lieux que ma famille ont choisi de quitter. Le mouvement, dans l’espace et dans mon esprit, s’est avéré me faire cadeau d’une imagination fertile qui, lorsque laissée à elle-même, se mute en anxiété qui attaque mes contradictions humaines. Par contre, lorsque dirigée vers l’art, cette même imagination est devenu un outil utile pour apaiser mon coeur déraciné. Comme un fruit tropical qu’on a cueilli trop tôt et qui a le goût d’une goyave pas mûre, je me sens comme si mon âme manquait des morceaux de son essence. L’art me pousse à la quête de mon essence. Comme j’aurais voulu pouvoir rester sous mon arbre plus longtemps. Comme j’aurais voulu avoir le privilège de goûter les racines de mon arbre. D’avoir eu le temps de mûrir.

Ici, sur cette autre terre dont je cherche à faire la connaissance et montrer mon respect, je cherche aussi à découvrir qui je suis. Voyez-vous, à cause de tout ce mouvement, mon coeur de migrante flotte déjà bien haut. La seule façon de toucher terre est une recherche perpétuelle des vraies histoires de la terre d’accueil. Tio'tia:ke. J’ai pris des leçons de Mohawk et de pouvoir prononcer le nom de ce lieu m’a rempli de joie. Enfin, je pouvais le dire. Grâce à mon professeur de Mohawk, j’ai une meilleure compréhension d'où je suis. Exister ici en toute transparence et connaissance me donne un sentiment grandissant d’appartenance. L’histoire de cette terre m’a aidé à me situer.

La terre a commencé à me raconter qui je suis. Nous sommes en conversation. Une conversation sur la dissociation d'identité et nationalité. Une conversation sur le sacré de la terre, de ma personne et de tout le monde autour. Le lieu pour sanctuaire. Le corps pour sanctuaire. La terre pour sanctuaire.

“donde quiera que uno muere, Ay hombe, to'a las tierras son bendita'.” (Alejo Duran)*

“Chaque terre est sacrée, peu importe l’endroit où un homme meurt, car chaque terre est sacrée.”

 

*Paroles d’une chanson colombienne, Alicia Adorada par Alejandro Duran, 1993. Alejandro Duran était un musicien, compositeur, chanteur et accordéoniste colombien qui jouait de la musique traditionnelle Vallenato.

 

Maria Antonia Trujillo est une organisatrice communautaire, historienne et artiste colombienne qui a grandi à Jeddah, en Arabie Saoudite. Elle considère Tio’tia:ke sa maison depuis deux ans. Pour voir son travail inspiré par la Colombie et ses expériences de migration, vous pouvez visiter son Instagram @magicorealism.

Participating artists: 
Maria Antonia Trujillo