Re-Marquer le territoire fait partie d'un vaste projet regroupant plusieurs galeries et organismes artistiques de Brooklyn et de Montréal, et marque le retour, après plus d’une décennie, d'échanges réels d'oeuvres d'art entre les deux villes. L’absence d’échange officiel entre ces métropoles si riches culturellement et si proches géographiquement a jusqu'ici été comblé par le fait qu'un flux constant d'octets intangibles circule entre les deux villes, diminuant le besoin d'un véritable échange matériel durant ces dix dernières années.
Depuis des siècles, les échanges stimulent l'exploration et vice-versa. Lorsque les Amériques furent «découvertes» par les Européens, ceux-ci tentaient d'atteindre l'Asie, où ils devaient trouver des richesses sous forme de soie et d'épices. Grâce à ce détour, ces voyageurs rentrèrent non seulement avec la connaissance d'un nouveau continent, ils rapportèrent aussi moult trésors exotiques : des ananas, du tabac et, plus tard, des tomates. Bientôt, ces plantes étranges étaient cultivées en Europe et leurs racines s'étendaient un peu partout sur le vieux continent, tandis que leur seule présence alimentait les rêves et les mythes du nouveau monde.
Lorsqu'elle souligne un bout de texte sur un mur, Michelle Lacombe laisse une preuve physique de son passage. Elle sort le regardeur de son rôle passif, et la possibilité d'un dialogue entre auteur et lecteur devient possible. De manière similaire, les cartes de mondes idéaux par Patricia Smith rendent visible l'intangible, permettent un voyage à partir de ce qui est intérieur vers l'univers externe, physique.
La fibre luxueuse des matériaux utilisés par Jérôme Havre sont le reflet de la colonisation et de sa sombre exploitation. Son travail incarne également les problèmes de surconsommation, du désir incontrôlé et avide pour des biens luxueux étrangers qui sans cesse nous dévore. Emily Roz traite elle aussi d'échange et de déséquilibre : ses peintures d'animaux provoquent une identification anthropomorphique, démontrant qu'il n'existe pas de frontière réelle entre l'humain et le reste du monde naturel.
Le déplacement physique d'objets et de personnes d'un territoire à un autre apporte une profondeur et la possibilité d'exploration qu'un échange purement numérique ou intellectuel ne peut approcher. Ces déplacements peuvent comporter le risque d'une invasion territoriale ou végétale (qu'adviendrait-il si une quelconque curiosité devait prendre racine et se multiplier de manière incontrôlable?). Ces risques sont parmi les prix à payer lorsqu’on se lance dans l'une des plus vieilles pratiques de l'histoire humaine : l'échange.
Traduit de l’anglais par Simon Benedict
Jasia Stuart "Si et quand je me considère comme une artiste, c'est avec l'espoir que cette « marque de commerce» implique d’être un agent libre, un filou à la poursuite incessante de bizarrerie. Je fais ce que je fais, ce qui est souvent, mais pas toujours, dessiner, découper, peindre, cuisiner, collaborer, recueillir, penser, lire, écrire et me laver les cheveux, mais pas nécessairement dans cet ordre. Je le fais de ma maison, de la rue, du métro et d’un studio rempli de musiciens, en général à Montréal, la plupart du temps. "