Notes chronologiques à propos d’une manœuvre réalisée et répétée dans dix salles d’attente de quatre hôpitaux.
Projet de Maude Pilon réalisé au cours de l’année 2012
MANŒUVRE :
Décider d’être dans une salle d’attente.
Trouver un espace parmi les gens en attente.
Poser un chevalet et une toile dans cet espace.
S’occuper beaucoup de la couleur du mur d’en face.
Déterminer la couleur du mur en se référant à une charte des couleurs.
Reproduire la couleur du mur en faisant le bon mélange de peinture dans un pot.
Étendre la couleur sur la toile avec un petit pinceau jusqu’à ce que le blanc soit caché complètement.
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Salle d’attente en neurologie
Hôpital Notre-Dame
23 mai 2012
Durée : 3 h
Rose saumon. La salle d’attente divisée en deux par le comptoir de la réception placée au centre de l’espace. Les gens assis dans une seule des deux divisions. Les murs rose saumon.
Des rangées de chaises. Des rangées de gens. Passer à travers. Les paroles qui se risquent. Poser le chevalet et la toile à côté de la machine à café. À travers les regards qui s’orientent. Mettre en place des circonstances à venir.
S’approcher du mur. Chercher le bon rose saumon en utilisant la charte des couleurs. Une femme confirme lequel des rose saumon sur la charte est le bon rose saumon. « Pourquoi cette couleur ? Ce serait bien plus beau un paysage ! Du vert ! » Au moins du vert. La femme pourrait être peintre. Pas nécessairement. L’espace est disponible. On a le droit de demander si elle est peintre parce que l’espace est disponible pour demander cela. « Non. Je n’ai jamais touché à un pinceau ! J’ai juste des idées. Comme ça.» Des idées juste comme ça. Commencer à étendre le rose saumon.
Une femme : « Des plus belles couleurs mettraient de la vie ! » Des plus belles couleurs que celle du mur. « Ce type d’événement ne s’adresse-t-il pas normalement à la clientèle en pédiatrie ? » Aussi anormalement que ça.
Des gens assis dans la dernière rangée et dans l’avant-dernière rangée et dans l’avant-avant-dernière rangée échangent des histoires à propos de salles d’attente et de couleurs de salle d’attente. Une salle d’attente bleue. Une salle d’attente blanche. Une salle d’attente beige.
Le silence revient et un homme à haute voix : « La salle d’attente impose un silence. Naturellement. Disons que tu t’arranges pour entendre ton nom. » Parce qu’il ne faut pas rater l’appel du médecin. Ne pas rater le rendez-vous. Ne pas rater ce qui arrête l’attente. Couvrir le blanc de la toile pendant que des paroles sont dites à propos du silence. C’est plus tard que l’homme encore à haute voix: « Cette peinture est un neutre parfait.»
Un homme : « Ça prend une deuxième couche. Crois-tu ça, je suis peintre en bâtiments. » Une raison : « Ce n’est pas parfait ». Les coups de pinceau imparfaits.
Un homme : « Ça irait bien plus vite avec un rouleau ! » Un grand rire dans la salle. Parce que se donner autant de mal. Parce que prendre beaucoup de temps. Parce que choisir d’être dans ce lieu pendant longtemps. Parce que c’est quoi l’idée. Ce lieu pendant longtemps. Parce que tout cela ne suffit pas à se constituer une raison. Et l’homme trouve une raison : « Je veux finir le monochrome. » Il se lève malgré la canne et malgré le gratteux non achevé et malgré l’incertitude de trouver une chaise. L’homme est debout et il dit : « Je veux un pinceau. » Trouver une chaise. « Je veux un plus petit pinceau que le tien. » Trouver un pinceau. L’homme se concentre. Pour trouver un rythme. Pour trouver un coup de pinceau qui est le sien. Pour trouver son souffle. Une femme le regarde. Elle encourage l’homme. Elle dit : « Faut-il le laisser finir la toile ? » L’homme peint en silence. Un silence qui l’empêche d’entendre son médecin l’appeler. La toile s’achève de blanc couvert de rose saumon. Et le médecin se présente dans la salle d’attente et le médecin trouve son patient en train de peindre et le médecin regarde son patient en train de peindre et le médecin attend pendant que son patient peint. Le médecin attend. L’homme qui aperçoit son médecin choisit de terminer de couvrir de rose saumon la toile. Choisir de couvrir la toile. Et trouver une raison.
Neutre parfait rose saumon.
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Salle d’attente aux soins intensifs
Hôpital Maisonneuve Rosemont
29 mai 2012
Durée : 2 h 30
Jaune blanc. La salle d’attente petite et carrée. Il n’y a pas de fenêtre et il y a une toilette adjacente. Il y a des chaises disposées le long des murs et une grande horloge. Les murs jaune blanc.
Retirer une chaise pour installer le chevalet et la toile. Des murs neuf chaises une grande horloge un chevalet et une toile.
S’approcher du mur. Chercher le bon jaune blanc en utilisant la charte des couleurs. Au même moment. Un synchronisme parfait avec la famille qui ne regarde pas. En attente de voir l’hospitalisé. Commencer à étendre le jaune blanc. La famille quitte la salle d’attente et la mère reste. Elle est seule et elle choisit des sujets comme l’Italie et Dieu et les valeurs familiales et les longs moments à l’hôpital et les chambres à l’hôpital et le temps qui passe à l’hôpital et le temps qui passe aussi dans les autres lieux.
Un homme attend de voir l’hospitalisé. La toile et la peinture lui font penser à sa fille. « Ma fille a onze ans. Elle dessine. Elle sait dessiner avec précision ce qu’elle voit. Elle est artiste. C’est bien de penser à elle ici. » Faire penser à ça.
Une femme et sa fille attendent. La femme et ses yeux fermés et sa tête appuyée. Ne pas déranger le moment. Le moment qui se suffit à lui-même. Ne rien amener ailleurs. Ne rien amener à l’intérieur. Ne rien déplacer de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement de l’extérieur vers l’intérieur. Rester comme ça. Être ici. Un espace qui ne s’en va pas. Un temps qui n’a pas besoin d’aide. Vider la salle de sa présence. Faire ça pour elle.
Trois quarts d’heure d’attente pour quinze minutes auprès de l’hospitalisé. Les gens se lèvent tous ensemble à chaque heure et quart. Une vague. Des murs neuf chaises une grande horloge et une toile. Ils se lèvent tous ensemble. Ils attendent de passer du temps auprès de l’hospitalisé. Quinze minutes pour un rapprochement. Pour un accompagnement. Pour une présence. Les gens reviennent s’asseoir ensuite. Tous ensemble. Neuf chaises. Jusqu’à la prochaine heure et quart tous ensemble. Et une grande horloge.
Dans la salle d’attente aux soins intensifs. Les points de contact existent entre les gens. Une proximité des différents corps. Être à l’intérieur de l’anxiété d’un autre corps. La similitude des attentes. Un certain type d’attente. La même façon d’être en attente. L,attente qui mène à la perte de soi. L’absence. Le temps ici s’y prend de la même façon pour tous. Le temps s’arrange pour peser sur les consciences. Dans la salle d’attente aux soins intensifs il y a les murs les chaises la grande horloge et le temps qui pèse sur les murs les chaises l’horloge et qui se serre contre les consciences et qui fait s’affaisser les corps et les consciences.
Quel espace libre ? Couvrir la toile de peinture jaune blanc de l’extérieur vers l’intérieur.
Trois quarts d’heure jaune blanc.
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Salle d’attente en ophtalmologie
Hôpital Maisonneuve Rosemont
29 mai 2012
Durée : 4 h 30
Bleu foncé. La salle d’attente vaste et allongée. Un long mur et ses natures mortes et un mur vitré. Beaucoup de personnes assises. Le mur bleu foncé.
Installer le chevalet et la toile près de la porte centrale dans l’allée centrale. Dans le centre de l’espace.
S’approcher du mur. Chercher le bon bleu foncé en utilisant la charte des couleurs. « Il n’y a pas autant de rouge dans ce bleu. » Trouver la bonne couleur avec l’aide d’une femme qui sait évaluer le rouge dans le bleu. Commencer à étendre le bleu foncé.
Un couple fait un détour par l’ophtalmologie après son rendez-vous dans une autre clinique. Pour assister à ça. Le couple s’assoit près de la toile. Pour voir. Pour prendre du temps pour voir. Ils restent une heure et quart de plus à l’hôpital après leur rendez-vous. Ce temps-là.
Une famille change de place pour s’asseoir près de la toile. Ils n’ont pas besoin de parler.
Une femme : « Ton pinceau est petit ! » Ou la toile est grande. Ou le temps est long. Ou c’est comme ça. Que ça prenne du temps. Qu’il se trouve. Sans finalité. Du temps passé ici à parler du temps qui passe ici. « Alors il ne devrait pas être plus petit ce pinceau ? »
Un homme tient compagnie à sa mère. Il regarde le bleu qui s’étend qui couvre qui forme et déforme qui et quoi. « Ou bien c’est un bison ou bien c’est une île ou bien c’est un nuage ou bien c’est juste du bleu… » La mère : « C’est comme faire du poudrage. Je suis brodeuse. » Repasser une deuxième fois avec la peinture au même endroit sur la toile. C’est comme repasser une deuxième fois avec le fil au même endroit sur le tissu.
Du centre jusqu’aux extrémités de la vaste et longue salle d’attente. Des doigts qui pointent la toile. Des paroles au centre qui s’en vont là-bas. Et de là-bas jusqu’au centre. Une infirmière dit que : « Les patients sourient aujourd’hui ! » Son sourire à elle.
Un couple arrivé dans la salle d’attente au moment même où le bleu foncé commençait à couvrir la toile est appelé par le médecin au moment même où le bleu foncé finissait de couvrir la toile. Ce moment même. Ce hasard qui sait parfois être exact. L’émotion de la femme qui arrive : « Cette toile représente exactement notre temps d’attente ici… Maintenant elle est belle ! »
Notre temps d’attente ici bleu foncé.
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Salle d’attente en cardiologie
Hôpital Hôtel-Dieu
1er juin 2012
Durée : 2 h 30
Beige jaune. La salle d’attente est carrée. Des médecins en congrès. Peu de gens attendent. Quelques-uns attendent. Les murs beige jaune.
Installer le chevalet et la toile à côté de la machine à café.
S’approcher du mur. Chercher le bon beige jaune en utilisant la charte des couleurs. Un homme confirme lequel des beige jaune est le bon beige jaune. Commencer à étendre le beige jaune. L’homme est assis loin du chevalet et il change de place pour s’asseoir plus près de la toile. Il dit : « Pourquoi la couleur du mur ? Un lieu c’est des perspectives et de la profondeur et de la lumière. J’étais architecte ingénieur. » Mais comment faire pour le temps qui passe dans le lieu. « Le temps se ressent quand il passe, non ? » Un temps passe. « Ajoutez à ce monochrome des montres coulantes au moins ! » Au moins des montres coulantes. « Si le mur était blanc votre peinture le serait aussi et à quoi ça nous avancerait ? Vous tuez la peinture ! » La couleur du mur qui tue. « Alors quel type d’artiste êtes-vous si vous n’êtes pas peintre ? Non peintre ? »
Une infirmière assit des patients autour de la toile. « Je vais revenir vous chercher quand ce sera votre tour. En attendant vous faites ce qu’elle vous dit ! » Elle ne dit rien. Ils ne font rien.
Une femme dit : « C’est bien laid. Par contre c’est bien présent. Le temps ici je veux dire. Comme ce que vous faites. Je dirais ça. » En quittant pour son rendez-vous : « C’est au moins ça. Je dirais que ça nous rend conscients de ça. C’est bien ça. De la présence comme ça. »
De la non peinture beige jaune avec de la présence comme ça.
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Salle d’attente en chirurgie
Hôpital St-Luc
1er juin 2012
Durée : 3 h
Brun. La salle d’attente en « L » et des ascenseurs face à face. Rouge autour des ascenseurs. Une télévision accrochée au mur est allumée. Un espace sonore. Brun. Les murs bruns.
Installer le chevalet et la toile entre deux chaises. À côté d’un couple attentif.
S’approcher du mur. Chercher le bon brun la charte des couleurs. Le bon brun n’est pas dans la charte. Un homme trouve ça drôle : « Celle sur le mur c’est de la Sico et ta charte c’est une autre marque ! » La femme aide à trouver le bon mélange : « Avec du rouge ». Comment le savez-vous. « Je fais de la peinture. À l’huile en plus. » Commencer à étendre le brun.
Un homme traverse le « L » pour regarder les couleurs se mélanger. Avec du rouge. « Comment sais-tu quelles couleurs mettre ensemble ? Tu as étudié quoi pour savoir ça ? » Comment mélanger des couleurs. L’homme trouve ça drôle : « Est-ce que l’art c’est mélanger des couleurs dans une salle d’attente ? Quand je te parle pendant que tu mélanges des couleurs dans la salle d’attente est-ce que je fais partie du mélange ? »
Quelqu’un éteint la télévision.
Un couple change de place pour s’asseoir devant la toile. Immédiatement devant. L’homme : « Est-ce que c’est de l’abstrait ? » La femme répond : « Non c’est le mur ! » L’homme : « Combien de temps pour couvrir le blanc avec ton petit pinceau ? » La femme répond : « Beaucoup… Comme ça tu peux parler avec elle. »
Il pourrait se produire une rencontre à prime abord improbable. Une femme qui était professeur d’arts plastiques. La tienne. Il pourrait se produire cette rencontre si elle était patiente et qu’elle avait un rendez-vous avec son médecin en même temps que la manœuvre Monochrome. Elle pourrait essayer de comprendre. Le brun continuerait à s’étendre sur la toile. Tout le monde pourrait s’étonner de cette rencontre improbable. Elle pourrait s’en étonnée. À prime abord. Elle pourrait souhaiter changer le cours des choses. Elle pourrait suggérer de tourner la toile d’un quart de tour « pour créer une texture différente ». Elle pourrait parler de texture. Elle pourrait souhaiter que la toile ne soit pas monochrome. Pas brune. Elle pourrait souhaiter que la toile ne soit pas la toile. Cette rencontre serait alors improbable.
Un homme amène quelqu’un pour voir ça. Ils s’assoient devant la toile. Immédiatement devant. « Alors, qu’est-ce que c’est ? On doit attendre que le blanc disparaisse ? On dirait que c’est facile… Mais il faut quand même attendre !»
Un homme : « Je viens tout juste de peindre la chambre de mon fils de cette couleur-là ! Exactement ! Et c’était long ! » Sa femme : « Tu devrais appeler ta toile la couleur de l’impatience. »
Brun la couleur de l’impatience.
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Salle d’attente en santé mentale
Hôpital Maisonneuve Rosemont
13 juin 2012
Durée : 4 h
Vert lime. La salle et la lumière. Les plantes et les fenêtres. Quatre couleurs. Les murs bruns bleus beiges et vert lime.
Installer le chevalet et la toile entre une rangée de plantes et une rangée de chaises. Choisir une couleur parmi les quatre. Une majorité de trois personnes choisissent le vert lime.
S’approcher du mur. Chercher le bon vert lime en utilisant la charte des couleurs. Une femme aide à trouver le bon vert lime. Commencer à étendre le vert lime.
Une femme s’intéresse beaucoup au mélange des couleurs. L’échec des mots pour créer un contact avec elle. Une interaction se produit par le geste posé pour mélanger les couleurs. Un contact par le geste. Le mélange des couleurs. Avec elle. S’accroupir pour faciliter. Avec elle. Le mélange des couleurs. La femme penchée au-dessus du pot du geste du mélange des couleurs. Les regards qui la font reculer. Ne plus regarder. Garder confiance en sa présence. S’accrocher réciproquement. Rester là. Mélanger les couleurs pendant longtemps là.
Une femme qui peignait. Qui ne peint plus. Après un peu de temps elle dit : « Je vais à mon rendez-vous. Je reviendrai ensuite. Pour peindre sur la toile. Pour voir si peut-être pour aider un peu peut-être comme je peux je reviendrai. » Revenue de son rendez-vous. Tirer une chaise devant la toile. Avec le pinceau elle délimite un premier espace : un rectangle. Elle remplit le premier rectangle de vert lime. Après le premier rectangle. Avec le pinceau elle délimite un deuxième espace : un losange qui partage un côté avec le premier rectangle. Elle remplit le losange de vert lime. Une femme assise là-bas cherche à lui dire que son rectangle et son losange ensemble ressemblent à un livre qui serait ouvert. Elle tire une chaise près de la femme pour lui dire ça.
Une femme : « Je vais m’acheter des pinceaux. Je vais peindre des monochromes. Parce que chez moi je ne sais pas quoi faire de mon temps. Je vais faire des monochromes. Ça peut durer longtemps ou pas tout dépendant de qui est avec toi. C’est ça ? »
Un homme aide à peindre. Il peint le contour de la toile. Parce que des paroles ont été prononcées à propos des contours de la toile rébarbatifs. Rébarbatif devant des limites. Il pense plutôt que « c’est bien d’avoir un cadre. » Il est violoniste et il ne voudrait pas jouer dans cette salle d’attente qui est la sienne. Peut-être dans une autre que la sienne. Il reste une heure et demie après son rendez-vous. Dans la salle d’attente. Jusqu’à ce que la toile soit entièrement couverte.
Contours vert lime et livre ouvert.
Salle d’attente en radio oncologie
Hôpital Maisonneuve Rosemont
14 juin 2012
Durée : 3 h
Jaune blanc. Comme la brique. La salle d’attente brisée en plusieurs sections séparées par des murs vitrés et par des colonnes de briques. Les murs de briques jaune blanc.
Installer le chevalet et la toile devant une colonne de briques.
S’approcher du mur. Chercher le bon jaune blanc en utilisant la charte des couleurs. Une femme : « Comment t’aider… Je ne vois pas les couleurs parce que je ne peins pas. Je trouve juste que ton mélange manque de rouge… Non ? » Lorsque le transport adapté arrive : « Avant que je quitte, as-tu besoin de moi pour autre chose ? » Commencer à étendre le jaune blanc.
Un homme demande à « faire sa part ». Il couvre le haut de la toile. « C’est un peu comme prendre une photo dans le fond. Parce que je suis photographe. Je fige des choses dans le temps dans le fond. » Figer une chose dans le temps. Dans le fond.
Jaune blanc figé dans le temps.
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Salle d’attente en oncologie
Hôpital Maisonneuve Rosemont
19 juin 2012
Durée : 3 h 30
Jaune. La salle d’attente allongée. Un mur et ses portes et un mur vitré. Les murs jaunes.
Déplacer deux chaises pour encastrer le chevalet et la toile dans une rangée. S’insérer dans l’espace. Trois questions : « Est-ce que je dérange si je reste assis ici ? » « As-tu assez de place? » « Es-tu bénévole ? » Déranger un espace bénévolement.
S’approcher du mur. Chercher le bon jaune en utilisant la charte des couleurs. Une femme confirme lequel des jaunes est le bon. Une autre femme s’aperçoit du mélange erroné. Trop rouge. Réparer une erreur devant des gens qui regardent l’erreur et la réparation de l’erreur. Un homme s’assoit proche pour superviser. « La couleur du mur ? Pas trop de rouge. Je suis peintre » Il est peintre et il sait mélanger le bon jaune. Commencer à étendre le jaune.
Une femme attend un diagnostic. « J’attends un diagnostic. Alors on attend aussi que la toile soit finie ? On attend que le jaune couvre le blanc. C’est une analogie de notre propre attente ici. J’étais psychothérapeute et professeur de littérature. » Un homme prend le pinceau et brosse sur la toile un visage. Avec le jaune. La femme psychothérapeute et professeur de littérature dit: « Comme si étendre le jaune n’avait pas de sens. Les gens cherchent du sens. » Le sens de ça.
Un homme dubitatif devant le monochrome qui sèche : « Tout ce temps-là pour peindre un toile jaune ! Je suis là depuis le début à regarder de loin, c’est mon temps ça ! Et c’est juste jaune ! Au moins est-ce que cette peinture m’appartient un peu maintenant ? » Une femme assise à côté ferme son livre : « Imaginez à combien de gens elle appartient cette peinture… » L’homme jase : « Mon temps se définit maintenant que par l’anticipation de la fin. Depuis que tout goûte la rouille. » La nourriture après avoir ingérer le traitement de chimiothérapie goûte le fer. « Rouille steak. Rouille sauce tomate. Rouille blé d’inde. Tiens ! La peinture est jaune blé d’inde ! » L’homme explique le projet à une femme qui arrive. Il explique le projet à un homme qui est assis là. Il explique le projet à une femme. Et ensuite à une autre femme. Il explique le projet.
Jaune blé d’inde.
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Salle d’attente de la douleur
Hôpital Maisonneuve Rosemont
9 juillet 2012
Durée : 2 h 30
Jaune. La salle d’attente allongée. Un mur et un mur vitré. Les gens assis près de la réception. Les murs jaunes.
Installer le chevalet et la toile devant le mur sur lequel il y a une peinture abstraite accrochée là. De la peinture un amas de taches brunes de lignes grises et un ensemble de points rouges sur fond vert clair.
S’approcher du mur. Chercher le bon jaune en utilisant la charte des couleurs. Une enfant demande une femme qui est sa mère : « Why is she mixing colors ? » La femme qui est sa mère ne répond pas. Un homme et une femme confirment le bon jaune. « Avez-vous fait aussi la peinture accrochée au mur ? » L’amas. Commencer à étendre le jaune.
Une femme bénévole commente : « Le pinceau est vraiment petit ! »
Un homme est assis loin et reste loin. Il dit de loin : « Il faut la vendre très chère cette peinture. Dali a peint un petit point noir au centre d’une grande toile devant une foule qu’il a fait attendre longtemps pendant qu’il faisait ses calculs à savoir où se trouvait exactement le centre de la toile avant de poser son pinceau. Elle valait très chère cette toile… C’est n’importe quoi ! J’aime beaucoup ses grandes femmes tiroirs par contre. » Par contre. « Votre peinture jaune ce n’est pas pareil. » Pareil à Dali. « Peut-être qu’il donnait un sens au temps… Mais c’est n’importe quoi ! »
Une femme demande : « Avez-vous fait la peinture accrochée au mur ? »
Jaune n’importe quoi.
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Salle d’attente en chirurgie
Hôpital Maisonneuve Rosemont
18 juillet 2012
Durée : 2 h 30
Bleu foncé. La salle vaste et allongée. Un mur et un mur vitré. Les murs bleu foncé.
Installer le chevalet et la toile presque devant la réception. La salle d’attente bondée. Les gens assis très près de la toile. La proximité la timidité. Le faire semblant de ne pas voir. Le faire semblant d’être absent. Le faire semblant de ne rien vouloir. La violence de la proximité de la timidité.
S’approcher du mur. Chercher le bon bleu foncé en utilisant la charte des couleurs. Une femme s’approche : « Cherches-tu la couleur du mur ? Plus de rouge. C’est presque que ça mais ça prend plus de rouge. Ma sœur est peintre. » Beaucoup de gens confirment l’addition de rouge. Beaucoup de gens ont l’expertise du peintre. Commencer à étendre le bleu foncé.
Une femme se lève et se tient debout près de la toile : « Est-ce que tu peins un nuage ? Un lac ? Un ciel? » Ne peindre ni un nuage ni un lac ni un ciel. « Quand tu auras terminé le bleu foncé que feras-tu ensuite ? » Finir avec le bleu foncé. Finir avec ça : une réponse qui engendre une frustration. Être frustré d’une autre chose que l’attente. La femme retourne à sa place. Et elle revient lorsque la toile est presqu’entièrement couverte de bleu foncé. « J’aimerais bien en faire un peu. » Le dernier coup de pinceau. Le sien. « Je ne pensais la finir ! Finalement elle est finie ! »
Bleu foncé fini.