par Sarah Nesbitt
“And here she comes, the little lady that does the dance to the Pyramids. The one, the only, little Egypt! There she is folks! She walks, she talks, she crawls upon her belly like a reptile; watch it now! That’s enough honey, don’t give away too much. You there young man, step right up, get yourself a ticket. There you go, you just bought yourself a trip to paradise. Who’s next?”
Dans l’enregistrement vidéo de la chanson « Little Egypt » (1964), Elvis achète un billet pour voir la danseuse Little Egypt performer à la foire mondiale de Chicago en 1893. Tandis qu’il franchit le cadre de la scène, son environnement fait une transition vers une cours palatiale aux fenêtres voûtées en pierre bicolore et aux balcons métalliques construits avec des motifs arabesques et donnant vue sur de tours et de dômes dorés au loin.
Elvis est éclairé par un projecteur qui le suit et qui le positionne simultanément en dehors de la scène; celui-ci observe Little Egypt réintégrer le décor et rejoindre son groupe de danseuses. Elles portent toutes les cheveux coiffés à la « Cléopâtre » et un voile délicat leur couvrant le nez et la bouche. Tout en se dandinant sur la scène en talons hauts et bikinis, les performeuses gesticulent sensuellement et agitent occasionnellement les bras dans le style popularisé par la chanson « Walk Like an Egyptian » des Bangles (1986).
Au moment où Little Egypt apparaît dans la chanson écrite par Jerry Leiber et Mike Stoller en 1961, elle est déjà devenue un personnage profondément hybride et américanisé. Elle exécute des triples pirouettes, porte des tatouages de cowboy sur sa colonne vertébrale (ouch?), « un rubis sur son ventre » et « un diamant aussi gros que le Texas à son orteil ». Sur la durée des 3 minutes et 33 secondes de la chanson, Little Egypt passe d’une créature basse et dangereuse qui « rampe sur son ventre comme un reptile » mais qui promet aussi « un voyage au paradis », vers une créature burlesque et vers une épouse domestiquée dont Elvis proclame qu’elle ne danse même plus [le hoochie koochie]. À la place, Little Egypt passe la serpillère et fait le magasinage pour leurs sept enfants qui sont à quatre pattes sur le plancher à longueur de journée et qui chantent désormais :
“Yeah, but let me tell you people, Little Egypt doesn’t dance there anymore, wo wo. She’s too busy mopping and a taking care of shopping at the store, wo wo. ‘Cause we got seven kids and all day long they crawl around the floor, wo wo, singing, ‘Yeah yeah! Yeah yeah! Yeah yeah! Yeah yeah!”
Dans un geste de parfaite absurdité, Little Egypt est assimilée et domestiquée par Elvis, cette icône américaine dont le mouvement de hanche avait d’ailleurs généré sa propre panique morale. Largement produit pour et par des américains, le numéro de Little Egypt était originalement performé par trois femmes différentes, dont aucune n’était égyptienne, dans le contexte du pavillon dédié au rues du Caire à la foire mondiale de 1893. La représentation déjouait les préceptes de modestie victoriens et aurait supposément sauvé ce spectacle eurocentrique d’un échec financier. Dans Little Egypt Doesn’t Dance Here Anymore l’artiste Nahed Mansour fait référence à des modes d’échange culturels et économiques. Elle mobilise la répétition et travaille avec des traçages semi-aveugles sur papier carbone, ainsi que des billets de dollars américains pour refléter un processus de traduction, de mutation, et d’exagération qui prend lieu à travers l’acte de la copie et de la marchandisation, tandis que son usage de vidéos et de textes d’archives retrace l’histoire de l’influence culturelle, de la consommation et de la circulation durables de Little Egypt.
Le mélange de fascination, de désir et de révulsion produit par le phénomène de Little Egypt est provoqué par Mansour, offrant une introduction concise vers une histoire nuancée du contact et de ses réverbérations dans les relations socio-culturelles arabo-américaine. Comme le cas de tout bon trope, la répétition, la marchandisation et l’assimilation de Little Egypt font qu’elle est à la fois omniprésente et introuvable.