Je m’appelle Eduardo Shlomo Velázquez. Je suis peintre, artiste en performance et cinéaste. Je suis né à Santo Domingo et je vis à New York. Je suis très heureux de présenter mes œuvres les plus récentes à articule, à Montréal. En tant qu’artiste et activiste, le Québec a toujours été un endroit précieux pour moi. J’ai multiplié les visites à Montréal, je suis tombé amoureux de l’hiver, de la diversité culturelle et du milieu de l’art contemporain. Je suis donc très honoré d’avoir ma première exposition solo au Canada, ici à Montréal.
J’ai hâte d’ouvrir le dialogue, de parler de l’identité postcoloniale et de la performativité liée au genre dans cette exposition. Avec cette expo, je veux me lier aux autres afro-caribéens, ceux du Québec, et explorer comment nos corps se manifestent dans nos villes respectives. Comme le dit si bien un ami à moi : « different bodies, different knowledge. »
Qu’il y a-t-il dans l’esthétique « camp » qui en fait le meilleur moyen de rendre votre travail?
Mon travail fait des observations très théâtrales et performatives sur le corps queer et sa construction. En pensant à la notion de camp, deux choses me viennent à l’esprit : l’usage du mot « subversif » chez Susan Sontag et l’œuvre de John Waters. D’une certaine manière, j’évoque la dissidence de mon propre corps, comme sujet de 500 ans d’activité coloniale, sa formation en tant qu’être, en « drag » de plusieurs cultures européennes. Tout ça reconfigure mon corps noir et nos corps post-coloniaux. Pour ce qui est de John Walters, je l’adore!
Il y a un camp de la violence que je cultive. Et ce camp est souvent caché derrière l’exubérance et l’imagerie suggestive qui se retrouve dans chacune de mes peintures, films ou performances.
Votre œuvre se déploie dans plusieurs médiums : Est-ce que vous choisissez le médium en fonction de ce que vous souhaitez représenter?
Ça dépend de l’idée que je veux interpréter. Il y a une traduction qui se passe quand je décide de transposer une idée visuelle de la peinture au film. La peinture est un médium très honnête et l’information peut être appréhendée de manière plus intime. C’est une relation qui s’établie avec l’objet de la peinture, surtout quand j’utilise ma propre image dans l’auto-portrait. Alors la peinture devient une exploration plus explicite de l’élasticité de mon genre (tel qu’on le définit de façon binaire), mais aussi de l’histoire de la peinture elle-même et mon interprétation du corps politique présenté dans la narration de l’identité postcoloniale et de ses fantasmes. Il y a un désir d’appartenance à une réalité idéale exprimé dans mes peintures et mes photos. Les espaces représentés dans mon travail montrent une alternative au temps, à la mémoire, à l’histoire et avant tout, à la beauté.
La vidéo et la performance sont des médiums plus immédiats. Je crois que la tension et la curiosité d’explorer ces thèmes me poussent à aller au delà des deux dimensions vers des espaces publics. Je passe en revue des moments clefs de la culture populaire de mon enfance. Par exemple, j’ai fait une performance qui s’appelle « Et dieu créa la femme » inspiré du film de Roger Vadim avec Brigitte Bardot. J’ai filmé ce projet en Ontario dans un champs vide en hiver. J’ai vu « Et dieu créa la femme » la première fois quand j’avais douze ans. Je me souviens très clairement du film et de l’impression du rôle du corps de la femme, de l’idéal de beauté lié à la sexualité représenté par BB. Les représentations visuelles du corps féminin dans ce film (dans le cinéma français des années 60 et 70) ont forgé mes idéaux de beauté. J’ai reproduit l’une des scènes posant debout dans une de mes vidéos. J’adore BB dans ce film, mais je sais aussi que ce qu’elle représentait ne pourrait jamais être moi, que je n’aurai jamais ce pouvoir culturel parce que je n’étais pas français ou blanc, que je n’avais pas les cheveux lisses. J’ai grandi dans les Caraïbes où les contradictions dans la représentation des corps et des idéaux de beauté par rapport au colonisateur existent toujours. Il ne faut pas oublier que l’histoire coloniale de la France, de l’Espagne et d’autres nations européennes a influencé et formé (par la violence et le feu) les idéaux impossibles du corps #postcolonial. Peut-être qu’il est juste de défendre « the booty ».
Pour ce qui est du film, j’ai présenté GUAO en première au Queer Festival de Londres récemment. Les films sont magiques. J’ai expérimenté ce nouveau médium qui m’aide à rejoindre un plus grand public. J’aime le style impromptu du mumblecore et le cinéma de style guérilla.
Quelles sont les différences les plus marqués entre « le corps » dans les Caraïbes et dans le Bronx?
Le corps caribéen s’est transformé par sa situation géographique. Dans le contexte de la diaspora, son espace se réduit et ce corps doit trouver une nouvelle signification au sein d’une nouvelle culture. Dans le cas de la série RRS, au Bronx ou même à Montréal, les corps essaient de trouver une appartenance. Donc chaque corps devient un microcosme des éléments qui jadis servaient à définir la beauté et l’identité. Cette construction est queer parce que les éléments visuels se déroulent dans une temporalité queer, il n’y pas de maintenant mais juste de l’après. Cette immédiateté est décrite par le corps de la femme représenté dans RRS – Yankee Bombers photographs. Les cheveux, la technologie, la jeunesse et le sofa recouvert de plastique sont l’un des moyens que les cultures immigrantes utilisent pour se familiariser avec la culture nord-américaine ou dominante.
D’où vient le titre et pourquoi le format mot-clic?
Les sujets abordés dans mes peintures, vidéos et photos explorent les épisodes de mes origines caribéennes et raisonnements diasporiques dans les images présentées dans #postcolonialbooty. De nos jours les mots-clics sont un moyen de diffuser l’information. De l’information spécifique à un sujet, une culture, un pays ou un chapitre de l’histoire. #postcolonialbooty n’aborde pas seulement la violence de la formation du genre dans la culture caribéenne, mais présente un plan visuel sur lequel ces identités sont rattachées à des lieux physiques, numériques, géographiques ou historiques. Cela crée une archive de symboles et stratégies fantasmées dans lesquelles le féminin (ou ce qui est perçu comme féminin) est exposé, consommé, rêvé et même aimé...